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La révolution des spaghetti

Un géant. Bedaine impériale. Barbe orageuse. Regard dominateur. Havane aux lèvres. Whisky. Sergio Leone, tel qu’en lui-même, Romain, 52 ans. L’empereur du western spaghetti. Un monsignore au pas lent, pesant, et pourtant non dépourvu de grâce. Le maître absolu du genre qu’il a créé : la parodie de l’Ouest, du mythe des cow-boys. Une «série à jeter» ? Erreur. «Pour une poignée de dollars», « Le bon, la brute et le truand » (entre autres) ont envahi les cinémathèques du monde entier. Des semaines «spécial Leone» réunissent les fanatiques durant les festivals. Mieux : les westerns «made in Italy» sont étudiés dans les écoles de cinéma ! A l’Université de Los Angeles, département septième Art, Sergio Leone tient régulièrement des conférences. Ses auditeurs : Francis Coppola, George Lucas, Steven Spielberg ! Attentifs aux leçons, ils n’ont même pas le temps de manger des pop-corn… Or, depuis douze ans, depuis «Il était une fois la révolution», Sergio Leone avait disparu des écrans. Le succès extraordinaire de «Il était une fois dans l’Ouest» avait donné à Sergio Leone les moyens financiers pour réaliser le second volet de sa trilogie. Sa société de production, la Rafran, était intervenue pour cette épopée située au Mexique en 1910. «Il était une fois la révolution» réunit deux grands comédiens américains, considérés un peu à part dans le système hollywoodien. James Coburn, allure de «badguy», regard d’acier, célèbre pour avoir été «Notre homme Flint». Rod Steiger, l’air de s’en foutre en permanence, mais qui a une «gueule». Les deux vedettes ne s’entendront pas à merveille au cours du tournage, au printemps 1970, du côté du Rio Grande. Les coups de feu sifflent toujours autant et, à vitesse ralentie, les scènes de bataille sont certes spectaculaires, mais Sergio Leone n’atteindra pas son but. Western spaghetti et politique ne font pas bon ménage. Le public n’y trouvera pas son compte. «Il était une fois la révolution» est un relatif échec commercial en Europe et aux Etats-Unis. Pourtant, la musique, signée bien sûr d’Ennio Morricone, restera gravée dans les mémoires. Un tube à défaut d’un grand film. Conscient de sa responsabilité, Sergio Leone ne veut pas prendre de risque immédiatement. Il s’enferme dans sa maison de Rome et réfléchit à la suite qu’il donnera à sa trilogie. A un moment, il songe même à tout abandonner. Il travaille sur « Le voyage au bout de la nuit » de Céline, dont il veut confier le rôle à Jean-Paul Belmondo. Mais, très vite, l’envie de la troisième partie«Il était une fois…» le démange. D’autant que le public attend cela. Dans le plus grand secret, il se consacre à un projet gigantesque. Fabuleux. Une fresque grandiose, qui couvre près d’un demi-siècle de, l’histoire de l’Amérique. Depuis les années 20 et les temps tragiques de la prohibition jusqu’aux sixties et à la Mafia contemporaine.La révolution des spaghetti Budget : 30 millions de dollars ! Tous les grands producteurs, tous les grands studios d’Hollywood avaient refusé de financer cette superproduction. Patient, mais découragé, Leone était sur le point d’abandonner. Dans l’ombre, un homme a compris que «l’Italien rondouillard» avait besoin d’un mécène pour mettre sur pied le troisième volet de sa trilogie : «Il était une fois… l’Amérique». Son nom : Arnon Milchan: Il a la trentaine. Il est israélien. Il vit en France. Il travaille bien : le feuilleton TV «Masada», c’est lui ; «Le roi de la comédie», de Martin Scorsese, avec Robert de Niro et Jerry Lewis, c’est lui encore. En juillet 1982, les efforts communs de Sergio Leone et d’Arnon Milchan vont finalement aboutir. A Rome, on donne le premier tour de manivelle de « Il était one fois l’Amérique », dans les studios de Cinecitta. Quant aux extérieurs, Paris, Tampa, New York, Montréal, il ne faudra au moins de dix mois pour en arriver au bout ! Nous sommes en 1933, à New York, dans le quartier de Chinatown, riche en commerces et en restaurants extrême-orientaux, un théâtre dont le premier étage est un speakeasy. Alcool en vente libre. Oplomerie. Au bar, un badguy fume une pipe de drogue. Costume sombre, borsalino. C’estRobert de Niro. Un des personnages principaux du film. Il joue Noodles (traduisez : Vermicelles !). Un petit gangster juif. Il tente d’oublier ce qu’a été sa vie. Pourtant, les images reviennent du fond de sa mémoire. Une scène capitale, qui sera la première et la dernière de «Il était une fois l’Amérique». «Le titre donne immédiatement le ton, et c’est très important. Ce film ne prétend pas être une étude sociale ou politique, ni une critique de quelque genre que ce soit, explique Sergio Leone. Je ne suis pas Américain, je ne suis pas Juif, je ne suis pas plus gangster que la plupart de mes collègues réalisateurs. Pour moi, faire de la polémique ou de la morale, ce serait… ridicule ! D’où mon titre. . Celui d’un conte, d’une fable. Toutes les légendes ne commencent-elles pas ainsi ? «Il était une fois…» Avec ce nouveau film, Sergio Leone quitte la poussière, la sueur et la soif des plaines du Far West. Le voilà dans la jungle de béton et dunéon des villes du vingtième siècle. L’Amérique a bercé ses rêves d’enfant et d’adulte. Il veut lui rendrehommage. « L’Amérique nous appartient. Un des premiers amours des Européens de ma génération a été l’Amérique qu’ Hollywood nous adonnée: l’épopée de l’Ouest, les batailles héroïques, les comédies musicales, le jazz, les actions glorieuses, courageuses et tragiques des gangsters. Ce furent des événements dans nos vies. Je veux renouer avec ce premier contact, évoquer le mythe, tout comme Noodles renoue après 40 ans avec les endroits et les gens qui formaient le merveilleux monde de sa jeunesse ». Et il ajoute : «Ce n’est pas non plus par hasard, si on se réfère dans le film aux Marx Brothers, à Shirley Temple, à Rudolph Valentino. J’ai été influencé par mes lectures de Chandler, Hammett, Dos Passos, Fitzgerald et Hemingway». La preuve. Un livre américain constitue l’idée de départ du film. Avant même de tourner «Il était une fois dans l’Ouest», Sergio Leone avait acheté les droits d’un roman, «Les truands», écrit dans la prison de Sing-Sing par un gangster plus connu sous le pseudonyme de Henry Gray. Ses héros : les parias de la société, avec les liens forts ou intimes des amitiés masculines, et le revers de la médaille : la trahison, la violence et la corruption. «Je n’ai gardé que 10% du livre, précise Leone. Le reste, ce sont mes recherches historiques». Sans regrets, le réalisateur a renoncé à des acteurs prestigieux: Paul Newman, Malcolm Mac Dowell, Glenn Ford, Kim Novak. En revanche, pas de problème pour Robert de Niro qui, depuis dix ans, bien avant d’être la superstar que l’on connaît, avait dit oui à Leone. «C’est un comédien magique dit le réalisateur. Il travaille tant son personnage qu’il finit par lui ressembler, même en dehors des heures de tournage. C’est une bête de cinéma ». Fidèle à son image, de Niro, s’est totalement investi dans le personnage de Noodles. On le verra même rasé. Il est sorti épuiser par son travail. Aux côtés de Robert de Niro, on trouve : Treat Williams (« Le prince de New York»), Elizabeth Mac Govern («Ragtime»), James Woods («Tueurs de flics»), Tuesday Weld, Louise Fletcher. C’est la nouvelle génération d’Hollywood, qui, sous la férule de Sergio Leone, devrait connaître la consécration. On songe immédiatement à Clint Eastwood et à Charles Bronson qui furent lancés par ses films. Ennio Morricone signera, bien sûr, la partition musicale de «Il était une fois l’Amérique». Lui aussi, doit sa célébrité aux westerns spaghetti. «Quand j’imagine une histoire, dit Leone, j’entends en même temps la musique. C’est Ennio qui l’a écrite. Elle est d’ailleurs déjà enregistrée». Le retour au cinéma de Sergio Leone sera le grand événement de l’année 84. «Il était une fois l’Amérique »pourrait ouvrir le prochain Festival de Cannes. Quarante semaines de tournage. Un voyage de trois heures à travers les bars clandestins, les ghettos de l’époque de la Dépression, les guerres des gangs de New York à Chicago… Un cadeau que Sergio Leone souhaite dédier à Akira Kurosawa, le metteur en scène des «Sept samouraïs» et de «Kagemusha». « J’ai pour lui une immense admiration, confie Leone. Il a un sens du spectacle, du rythme et de l’action… » Du Japon à l’Italie, c’est l’amitié de deux géants. Le talent n’a pas de frontières. Il était une fois l’Amérique : une fresque grandiose, couvrant près d’un demi-siècle de l’histoire des Etats-Unis.

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